Viva la Revolucion! Portrait d’autoritarisme dans Far Cry 6
Par David Boulanger
Ubisoft a produit, pendant les
dernières décennies, des franchises de jeu, lesquelles sèment parfois la
controverse lorsque leurs jeux se rapprochent trop de la réalité. Ici, pour le
dernier titre de la série Far Cry 6, certains critiquent l’appropriation
culturelle et la simplification de la situation cubaine (Penix-Tadsen, 2021) et
d’autres l’aspect « politique » de certains jeux d’Ubisoft
(Klimentov, 2021). Toutefois, il est important de noter une chose intéressante :
la création d’un pays fictif (Yara), fortement inspiré du régime cubain, qui
incidemment permet de naviguer dans un contexte de dictature et d’être mis en
contact avec la propagande du gouvernement. Dans ce billet, nous analyserons
la dimension « idéologie » de cette affiche de propagande se
retrouvant dans le jeu. Nous nous pencherons ensuite sur les rhétoriques
utilisées sur cette affiche ainsi et les enjeux sociaux ainsi que politiques
qui y sont liés.
En quoi cette affiche au sein d’un jeu
vidéo peut être associée à la dimension idéologique ? D’abord, l’idéologie
selon Gramsci « est un ensemble de discours adapté à une situation
historique particulière et qui peut être propre à une sous-catégorie au sein
d’une classe » (Tremblay-Pépin, 2013, p. 108). Dans ce contexte, il s’agit
d’un régime communiste postrévolutionnaire (comme Cuba), ainsi expliquant
l’idéologie émergente du contexte « historique », représentant la
« superstructure »[1] du
régime de Yara (Piotte, 2010, 188). Un
autre des concepts pouvant s’appliquer à cette affiche dans le jeu est le
troisième filtre du modèle propagandiste de Chomsky et Herman, lequel souligne
« la dépendance des médias à l’égard de certaines sources
d’information : le gouvernement… »
(Baillargeon, 2014, p. 52). Donc, puisqu’il s’agit d’un régime
autoritaire communiste (fictif, mais semblable à Cuba), la seule source
d’information est celle provenant du gouvernement lui-même. Toutefois, le
cinquième filtre peut aussi être appliqué, soit « l’anticommunisme des
médias […] idéologie favorable au libre marché » (Baillargeon, 2014, p.
53), mais, cette fois-ci, en considérant que le jeu est créé par une compagnie
de jeux vidéo basée dans divers pays capitalistes[2]
favorables au libre marché. Enfin, l’affiche de propagande est liée à
l’idéologie puisqu’elle « a pour objectif de justifier […] un ordre
social » (Landry, n.d., p. 228).
Les procédés rhétoriques attribuables
à cette affiche sont écrits et visuels. Puisqu’il s’agit d’une affiche faisant
partie d’un jeu vidéo, on peut attribuer la caractéristique de média de masse à
cette production médiatique (Landry, 2014b, p. 9). Penchons-nous d’abord sur la
rhétorique de présentation écrite. On y retrouve trois mots écrits, tous de la
même couleur, écrits sur deux lignes et de grosseurs différentes (Landry, 2014,
p. 15). La première ligne contient un seul mot écrit en plus petit :
« Reconstruyendo », référant à un « nous » collectif qui
doit participer à la tâche suprême du leader. Ensuite, il est écrit, en plus
gros, « El Paraìso », indiquant qu’avec cet effort collectif, une vie
meilleure, paradisiaque, nous attend. Du côté de la rhétorique de présentation
visuelle, les caractéristiques de positionnement, cadrage et éclairage, sont
présentes sur l’affiche (Landry, 2014, p. 15). Le positionnement est central,
ne représentant qu’un seul personnage, dans ce cas-ci, le leader Antòn Castillo[3],
prenant une pose un peu de côté et regardant vers l’horizon, comme s’il voyait
ledit paradis à atteindre et que seul lui pouvait y amener son peuple. Le
cadrage est de près, ne comprenant que la moitié supérieure du leader,
rappelant certaines statues et bustes des héros du passé. Enfin, l’éclairage
crée un halo de lumière derrière le leader, ce qui rappelle les images
religieuses de Jésus et autres saints. Bref, l’affiche suit un certain modèle
déjà vu sur les affiches de propagandes des régimes autoritaires et
totalitaires tout au long du 20e siècle.
En ce qui a trait aux enjeux sociaux
et politiques, l’utilisation de jeux vidéo comme support médiatique à
l’enseignement permet de faire vivre de façon virtuelle la vie dans un régime
autoritaire. Bien que nous ayons cru, après la chute du mur de Berlin en 1989
et l’ouverture de la Chine à l’économie mondiale, que le contexte politique global
pourrait s’orienter vers une réduction des dictatures. Cependant, nous
remarquons présentement que nous semblons nous diriger à nouveau vers un
conflit entre pays démocratiques et autoritaires, du moins idéologiquement.
Ainsi, il est important que les enjeux liés à la croissance de l’utilisation de
la propagande, et ce, des deux côtés du conflit, soit compris le plus possible
par « la masse ». En utilisant un des médias culturels les plus
populaires pour sensibiliser la population, on peut ainsi faire comprendre les
problèmes liés à l’autoritarisme et contester l’intention des auteurs, puisque
ces derniers se positionnent « contre » le genre de régime illustré
dans le jeu.
En conclusion, l’affiche de propagande
du régime autoritaire fictif de Yara dans Far Cry 6 nous démontre
l’utilisation des caractéristiques de la dimension
« idéologie ». On a vu que ces
caractéristiques permettent d’exposer les dynamiques de la dictature et du
message gouvernemental autoritaire tout puissant, mais aussi comment cela
représente l’interprétation provenant d’un studio de jeu vidéo capitaliste. Les
rhétoriques de présentation écrite et visuelle nous présentent une affiche de
propagande qui aurait parfaitement pu provenir de l’Union soviétique ou de Cuba
dans les années 1970. Une telle production, même fictive, est importante pour
mettre en contact les joueurs avec certaines caractéristiques des régimes
autoritaires et possiblement stimuler l’acquisition d’information sur le sujet.
Aussi, en étant un jeu de type « à la première personne », Far Cry 6
peut servir de support médiatique capable d’attirer l’attention des jeunes
élèves (minimalement du secondaire) n’ayant pas connu la guerre froide pour
faire des parallèles avec cette époque, mais aussi pour critiquer le biais des
auteurs du jeu. Enfin, la connaissance des caractéristiques d’utilisation de
l’idéologie dans les médias prend davantage d’importance à cette époque de
conflits politiques et militaires basés sur l’idéologie. Le questionnement est
d’autant plus important avec l’ingérence étrangère de certains régimes
« ennemis » essayant de créer des prises de position extrémistes au
sein même des sociétés démocratiques (polarisation de l’extrême droite et
de/contre l’extrême gauche).
Bibliographie
Baillargeon,
Normand (2014). Le modèle propagandiste. Nouveaux cahiers du socialisme,
11, p. 47-60.
Joly,
Martine (2009). Introduction à l’analyse de l’image. Paris; France : Armand Colin,
.p. 33-94.
Klimentov,
Mikhail (2021). We shouldn’t need Ubisoft to tell us that ‘Far Cry 6’ is a
political. Washington Post. We shouldn’t need Ubisoft
to tell us that ‘Far Cry 6’ is political - The Washington Post
Landry,
Normand (2014). Chapitre 6 : lire
un texte médiatique. Dans Éducation aux médias & littératie médiatique.
Québec; Canada : TELUQ.
Landry,
Normand (2014b). Chapitre 7 : comprendre les diverses formes de
réception/décodage des textes médiatiques. Dans Éducation aux médias &
littératie médiatique. Québec; Canada : TELUQ.
Landry,
Normand (n.d.). Introduction aux textes dur l’idéologie. Dans Module
3 : Représentation, pouvoir et idéologie. Québec ; Canada :
TELUQ.
Piotte,
Jean-Marc (2010). La pensée politique de Gramsci. Montréal,
Canada : Lux, p. 188-209.
Penix-Tadsen,
Phillip (2021). Wat Far
Cry 6 Gets Wrong About Cuba. Wired. What Far Cry 6 Gets Wrong
About Cuba | WIRED
Tremblay-Pépin, Simon (2013). Les critiques
gramsciennes. Dans Illusions. Petit manuel pour une critique des médias.
Montréal, Canada : Lux, p. 99-121.
[1] « La superstructure est constituée par la dialectique de la
société civile (ou idéologie) et de la société politique (ou État). L’État est
le pouvoir de coercition par lequel la classe dominante consolide l’hégémonie
qu’elle exerce dans la société civile et la direction qu’elle imprime aux
forces productives » (Piotte, 2010, p. 188). La force productive qui, dans
ce cas-ci, « reconstruire le paradis » en suivant les directives du
parti au pouvoir.
[2] Le jeu Far Cry
6 est l’œuvre d’Ubisoft Toronto, mais d’autres studios de la compagnie se
retrouvent à Québec, Montréal, Montpellier, etc.
[3] Interprété par
l’acteur Giancarlo Esposito.
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