La pureté à tout prix! L’utilisation du racisme dans le jeu Bioshock Infinite
La série Bioshock[1] est reconnue au sein de la communauté des « gamers » par l’introduction d’une trame narrative extrêmement complexe et bien écrite dans le genre des jeux de tir à la première personne. Incidemment, ces jeux ont aussi augmenté la perception d’immersion au sein de ce monde parallèle au nôtre, mais toutefois soulignant plusieurs caractéristiques historiques de style « steampunk »[2] et le contexte social de la première moitié du 20e siècle. L’un des sujets controversés qui est omniprésent dans le troisième titre de la série, Bioshock Infinite, est le racisme américain du début du siècle et la façon dont il est représenté partout dans la ville volante de « Columbia ». Nous analyserons ici la dimension « racisme » s’appliquant à une des affiches se retrouvant dans le jeu. Ensuite, il sera question des rhétoriques utilisées ainsi que des enjeux sociaux et politiques liés à cette affiche.
L’affiche
sélectionnée illustre bien la dimension de « race », et ce, au sein
même d’une idéologie[3]. Dans
ce cas-ci, l’utilisation du racisme est intéressante puisqu’elle situe le
joueur dans un climat où la race « concerne les structures profondes de la
société » (Safi, 2013, p. 8), lesquelles ont des racines historiques
réelles rapportées par Jeremy Hsu (2013) dans un climat actuel (un peu plus de
10 ans après la sortie du jeu) de revendication d’égalité raciale du mouvement
« Black Lives Matters ». Donc, le but est principalement de
choquer le joueur envers cette société suprémaciste blanche. Il n’y a aucun
doute que l’affiche est un exemple de « différences phénotypiques »
au travers de l’importance de la couleur de la peau (Safi, 2013, p. 10).
Les
rhétoriques de présentation écrite et visuelle s’appliquent toutes deux à cette
affiche se retrouvant dans un « média de masse » (Landry, 2014b, p.
9). D’abord, du côté de la couleur de la police utilisée (Landry, 2014, p. 15),
on y met l’accent sur deux caractéristiques biologiques qui étaient associées à
la race « blanche », soit les yeux bleus et la peau blanche.
D’ailleurs les mots « eyes… so blue! » sont écrits en bleu et « skin…
so white! » en beige renforçant l’importance de ces deux caractéristiques.
Le questionnement « … or are they? » en blanc veut remettre en
question ce que cette culture suprémaciste considère comme des caractéristiques
de la race blanche ne sont peut-être pas assez restrictives à propos de la
pureté de la race, tel que l’on retrouve dans l’avertissement en orange (pour
susciter la peur). Du côté de la rhétorique de présentation visuelle, l’image
s’inscrit dans des canons artistiques attribuables à l’époque victorienne et
édouardienne (coiffure, vêtements, type de maquillage de la femme ainsi que le
style de dessin). La femme se retourne vers le « lecteur »,
dévoilant sa peau blanche et ses yeux bleus, des caractéristiques de la
population blanche. Toutefois, en arrière-plan, on y retrouve la lune rouge (blood
moon), créant une ambiance de peur et de doute en lien avec les propos
écrits. On peut aussi noter que les « non-blancs » ne s’y retrouvent pas
représentés, démontrant que tout ce qui dévie de la blancheur pure ne mérite
pas d’être exposé, et ainsi on peut se demander si on leur dénigre même
« leur appartenance à l’humanité » (Safi, 2013, p. 13).
Les
récents débats sur le racisme émergeant des États-Unis (Black Lives Matters),
et même plus près de nous, sur le racisme systémique, démontrent que la lutte
pour l’égalité raciale est loin d’être terminée. Le jeu Biochock Infinite,
bien qu’antérieur aux événements susmentionnés, démontre un monde où l’extrême
droite identitaire raciste est au pouvoir et ce que représente de
« vivre » dans un tel univers moralement douteux. Là où cette affiche
et le jeu Bioshock Infinite démontrent leur importance, c’est en
dressant un portrait du racisme davantage aligné à la réalité américaine (qui
ne s’est pas totalement imposé en régime uniquement raciste, contrairement au
régime national-socialiste en Allemagne). Donc, il est possible de tester les
bases morales et éthiques des joueurs en les mettant en contact avec cette
réalité. Toutefois, l’appréciation du « second degré » de
l’utilisation de textes racistes n’est pas garantie. D’ailleurs, certains
groupes suprémacistes ont utilisé le cas de Bioshock Infinite pour
l’attribuer à un courant anti-blanc sur les réseaux sociaux (Plunkett, 2012),
et ce, avant la montée de l’extrémisme blanc lors de la présidence de Donald
Trump.
En conclusion, nous avons vu en quoi l’affiche de propagande raciste provenant du jeu Bioshock Infinite utilise deux caractéristiques de la rhétorique de présentation visuelle pour faire croire au joueur à une société réellement basée sur la suprématie de la race blanche. Ainsi, les auteurs du jeu veulent mettre à l’épreuve les convictions morales, éthiques et le concept d’égalité raciale, toujours d’actualité aujourd’hui plus d’un demi-siècle après le mouvement des droits civiques afro-américains des années 1960. Les jeux vidéo étant l’un des médias le plus en croissance et le plus immersif, l’utilité de Bioshock Infinite pour les enseignants d’histoire (ou d’univers social depuis la réforme) dans le but de mettre en contexte les jeunes et piquer leur intérêt est important. Il permet de faire interpréter une foule de contextes historiques (ère victorienne, théories raciales de l’époque, racisme) et de connaissances morales/philosophiques en faisant une analyse de média (affiche) au sein même d’un autre média (jeu). Du même coup, il est possible de jumeler à la connaissance générale, celle des droits civiques et de la littératie médiatique.
Bibliographie
Hsu,
Jeremy (2013). How Scientific Racism at the Chicago’s World’s Fait Shaped
‘Bioshock Infinite’. Vice. How Scientific Racism at
the Chicago's World’s Fair Shaped ‘Bioshock Infinite’ (vice.com)
Joly,
Martine (2009). Introduction à
l’analyse de l’image.
Paris; France : Armand Colin, .p. 33-94.
Landry,
Normand (2014). Chapitre 6 : lire un texte médiatique. Dans Éducation
aux médias & littératie médiatique. Québec; Canada : TELUQ.
Landry,
Normand (2014b). Chapitre 7 : comprendre les diverses formes de
réception/décodage des textes médiatiques. Dans Éducation aux médias &
littératie médiatique. Québec; Canada : TELUQ.
Landry,
Normand (2014c). Introduction aux textes sur l’idéologie, dans Module
3 : Représentation, pouvoir, et idéologie. Québec ; Canada : TELUQ.
Plunkett,
Luke (2012). Racist Morons Have Serious Issues With Bioshock Infinite.
Kotaku. Racist Morons Have
Serious Issues With BioShock Infinite (kotaku.com)
Safi,
Mirna (2013). Inégalités enthno-raciales : perspectives d’analyse en
sociologie de la stratification sociale. Dans Les inégalités ethno-raciales.
Paris, France : La Découverte, p. 5-20.
Wikipedia
(2023). Steampunk. Steampunk
- Wikipedia
[1] Le récit du premier Bioshock, se situant à
« Rapture », une ville sous-marine, est antérieur à celui de Bioshock
Infinite, se déroulant dans la ville flottante de Columbia. Le premier jeu met
en scène une société anticommuniste dans un décor art déco.
[2] Il s’agit d’un type de science-fiction basée sur ce que
représentait le « futur » pour les gens du 19e siècle,
donc basée sur la machine à vapeur et le rêve de voler (d’ailleurs la ville
principale, Columbia, est « volante »). (Wikipedia, 2023)
[3] Dans cette
analyse, nous nous concentrerons sur la dimension « racisme », malgré
que cette affiche (et le jeu en soi) présente un contexte de gouvernement
central associant la race à des idéologies religieuses, de rapports sociaux et
de hiérarchie entre les personnes (Landry, 2014c, p. 228).
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