Résumé du 10e symposium annuel « Histoire du Jeu »


Par David Boulanger

 

Le 10 mars dernier avait lieu la dixième édition du symposium annuel « Histoire du jeu » à l’Université de Montréal (et Zoom) sous le thème « En Français S’il Vous Plaît! ». Au programme, 8 présentations diverses par des chercheurs ainsi que des développeurs de jeux vidéo. Je propose de vous résumer brièvement les 8 présentations pour vous illustrer quels sont les sujets traités dans les cercles académiques liés au jeux vidéo dans le monde francophone.

 

Le professeur Eugen Pfister (Haute école des arts de Berne) et David Javet (Université de Lausanne) ont présenté le cadre de leur projet d’étude du jeu vidéo en Suisse dans la présentation : « Recherche de jeux vidéo francophone en Suisse ». Ils affirment que leur but n’est pas de créer une histoire nationaliste du jeu vidéo suisse, mais davantage contrer le narratif que les jeux vidéo ne sont l’affaire que des États-Unis et du Japon. Leur équipe de recherche est pluridisciplinaire (historiens, sociologues, etc.) et vise aussi à utiliser ces informations pour d’autres sujets connexes tels que la numérisation, la digitalisation de la société suisse ainsi que les changements sociaux et culturels. Ils ont aussi commencé à répertorier les jeux suisses sous une banque de données nommée Swiss Game Garden. Enfin, ils s’interrogent à savoir si on peut considérer la culture du jeu suisse comme étant une seule ou bien 4 cultures distinctes du jeu vidéo vu les quatre langues officielles du pays (allemand, français, italien et romanche).

 

La seconde présentation était celle de la professeure Gabrielle Trépanier-Jobin de l’UQAM (laboratoire Homo Ludens). Sa présentation « Résultats d’un sondage de la DEI dans l’industrie du jeu vidéo québécoise » (DEI = diversité, équité, inclusion) dresse un portrait qu’elle identifie comme « actuel » de cette industrie (questions portant sur la perception présente des employés du milieu du jeu vidéo et non sur le passé). Elle est toujours en phase de traitement des données et a présenté un portait relativement attendu d’une industrie « male-centric » en transition (du moins on l’espère). En général, les femmes et les membres du personnel non genrés sont en effet proportionnellement moins bien représentés dans les strates plus élevées de la gestion, ont un niveau plus élevé de problèmes de santé mentale, sont plus isolés, etc. Je n’inclus pas de données ici puisque la professeure Trépanier-Jodoin ne les a pas elle-même publiées. C’est toutefois un sujet à suivre.

 

Les troisièmes présentateurs étaient Pascal Nadaf et Samuel Bourassa du studio Unreliable Narrators (la branche jeux vidéo grand public de Affordance Studio). Ils ont présenté leur jeu qui est attendu pour la fin de 2023 (selon leur page Steam) nommé « Two Falls –Nish Takuatshina ». Ce jeu a l’air super intéressant puisqu’il traite de début de la Nouvelle-France et démontre la perception divergente entre une immigrée française et un habitant autochtone. Il s’agit d’un jeu qu’ils qualifient de « narratif et linéaire » et accessible à tous puisque davantage orienté vers l’histoire des personnages et la narration que les défis du « gameplay ». Ils travaillent avec un conseil des anciens Amérindiens et plusieurs membres clefs du personnel sont autochtones, priorisant une approche mariant l’histoire « à l’européenne » et ancestrale.

 

Le quatrième est le professeur Carl Therrien (Université de Montréal – LUDOV), qui a soulevé le questionnement de la sous-représentation de la culture LGBTQ+ au sein des jeux vidéo québécois dans sa présentation : « Dude, where’s my Queer Quebec Bro? Petite histoire d’une inquiétante absence ». Il démontre que les autres arts tels que le cinéma, la littérature et le théâtre intègrent mieux la culture LGBTQ dans leurs productions que le jeu vidéo. Il ajoute d’ailleurs que Québec est plutôt absent de l’exposition sur les jeux vidéo Queer du Musée de l’homosexualité de Berlin. Bref, un autre objet d’étude à développer davantage à l’avenir.

 

La doctorante Charlotte Courtois (Université de Montréal) et la professeur Caroline Ben (Université Saint-Paul) présentaient « Exploration des jeux vidéo francophones contre les violences sexistes et sexuelles de 1986 à 2023 ». Ici aussi, elles tentent de dresser une liste des jeux vidéo sur le sujet et, par la bande, soulignent un autre problème très d’actualité, celui de la conservation (la fermeture du magasin en ligne – eshop – des consoles 3DS et WiiU de Nintendo alimentent cette discussion ces temps-ci). Elles notent que déjà plusieurs des jeux qu’elles ont répertoriés ne sont plus disponibles. Dans ce domaine, il s’agit davantage de jeux à caractère éducatif pour des sujets tels que le consentement et l’empathie envers des groupes marginalisés (trans, travailleuses du sexe, etc.). Ces jeux sont souvent « éphémères » parce qu’une fois le financement terminé, ils sont souvent retirés des sites qui les hébergent.

 

La sixième présentation porta sur la « Documentation du jeu vidéo au Québec ». Le professeur Bernard Perron (Université de Montréal - LUDOV) et le doctorant Francis Lavigne (Université de Montréal - LUDOV) soulignent leur désir de préserver le patrimoine des jeux vidéo. Ils ont créé une base de données sur les jeux québécois, lesquels sont documentés sur des fiches de style muséales. Ils mentionnent aussi l’importance de la préservation au sens large ainsi que la « jouabilité ». Ils ont d’ailleurs mentionné comment ils procèdent lorsque quelqu’un utilise la collection du LUDOV pour capter des images, soit que toutes les consoles/plateformes n’ayant pas de sortie HDMI passent par une télévision cathodique qui est enregistrée avec une caméra extérieure pour préserver l’image telle qu’elle a été pensée/créée au départ (les carte de capture ne sont que pour les plateformes plus récentes dotées d’un port HDMI). Petite plogue : si jamais vous ou quelqu’un que vous connaissez veut se débarrasser de ses jeux physiques, vous pouvez contacter le LUDOV et faire un don pour participer à la conservation des jeux vidéo au Québec.

 

Le professeur Alexis Blanchet (Université Sorbonne Nouvelle - IRCAV) a présenté « Je donne un coup de pied dans un réverbère, dix codeurs en tombent, aspects sociaux de l’histoire du jeu vidéo en France ». Ceci fait suite à la publication de son livre « Une Histoire du jeu vidéo en France » (2020). En gros, il démontre que l’histoire du jeu vidéo et aussi celle de ceux qui les ont créés. Incidemment, on y voit aussi l’exploitation des employés lors de périodes de « crunch », les méthodes managériales par pression dans les années 1980 et 1990 alors que les emplois se font rares et il tente de prendre une distance face au « filtre mélioratif » (capacité des gens, avec le temps, d’oublier les mauvaises conditions pour se souvenir que des bonnes choses) qui fait surface lorsqu’on interview certains employés de cette époque. Enfin, il mentionne que l’histoire des jeux vidéo est aussi celle de petites entreprises familiales, d’usines locales, du commerce ainsi que du « coût » du travail (délocalisation, licenciements, etc.).

 

La dernière présentation est celle d’Olivier Leclair du Studio Chien d’Or. Il présente son dernier jeu, « La Vallée qui murmure » et son accent sur la diffusion culturelle québécoise. C’est un jeu « point & click » d’horreur, qui se situe au Québec, dans un village fictif de la fin des années 1800. Il a démontré le souci de représentation spatiale en comparant des lieux et objets du jeu à des photos de leur équivalent historique. La narration est en français québécois (bien que pas nécessairement représentative de l’époque – accent et termes - pour être plus accessible). Il traite aussi des relations conflictuelles entre les Québécois et le clergé ainsi que de l’histoire nationale de l’époque pour bien s’ancrer dans le contexte québécois. Il y a d’ailleurs un prélude qui se nomme « Le Murmureur », les deux disponibles sur Steam.

 

Bref, cette 10e édition du symposium a été très intéressante et j’espère que ce résumé a piqué votre curiosité pour apprendre davantage sur la panoplie de sujets étudiés dans les diverses universités francophones en relation avec les jeux vidéo. 

 

 

Commentaires